Ce vendredi 10 avril se tenait le 4e « marché rouge » au local du Manba. Depuis la dernière semaine de mars, nous organisons une distribution de denrées alimentaires et de produits d’hygiène gratuits deux fois par semaine pour les personnes exilées avec qui le collectif est en lien via ses activités habituelles (cours de français, permanence juridique, mobilisations). Sans même que nous rendions les horaires publics, la nouvelle s’est diffusée très rapidement tant la situation est critique en ce moment, et nous accueillons autour de 200 personnes par marché.
Une heure avant l’ouverture de la distribution, une centaine de personnes étaient déjà présentes devant le local. Inquièt.e.s, des voisin.e.s appellent la police. Une demi-heure plus tard, une brigade de la Police Nationale (une dizaine d’agent.e.s) intervient dans la file d’attente tandis qu’une voiture de la BAC se gare au bas de la rue. Les policier.e.s, gazeuses et matraques à la main, se déploient le long de la file d’attente et se dirigent directement vers les militant.e.s du collectif qui organisent la file d’attente. Immédiatement, les policier.e.s se montrent menaçant.e.s et agressif.ve.s. On nous demande de nommer un.e responsable, le commandant de la patrouille menace de faire fermer le local et d’interdire la distribution. Après un contrôle d’identités et d’attestations, cinq d’entre nous seront verbalisé.e.s alors que nos papiers et nos attestations sont en règle . Le commandant nous expliquera bien sereinement que c’est lui qui sait si une attestation est valable ou non et que nous sommes en train de mettre en danger la vie de personnes. C’est pourtant bien le contraire, puisque si nous avons choisi de distribuer gratuitement de la nourriture et des produits d’hygiène c’est parce que ces personnes sont mises en danger par l’inaction sociale de l’Etat français et de ses institutions. Car entendons-nous bien : ce n’est pas par plaisir que notre collectif, comme beaucoup d’autres associations et groupes militants, organisent des distributions alimentaires, colis et maraudes. Cela ne nous amuse pas de risquer d’enfreindre des mesures de sécurité sanitaire, mesures que nous ne remettons pas en question. Cependant il y a une urgence à organiser la solidarité envers les personnes les plus touchées par cette crise ; et nous savons que là-dessus, nous n’avons rien à attendre de l’Etat, puisque confinement ou pas, il maltraite au quotidien ces personnes.
Ainsi, ce vendredi, la police, après une quinzaine de minutes à nous mettre la pression, à regarder la file d’attente, sûrement bien conscient.e.s de l’autorité et du malaise qu’iels imposent à des personnes trop habituées à les craindre, finiront par partir, et le marché rouge par avoir lieu.
Ce qu’il s’est passé ce vendredi n’est que le symptôme d’une situation générale à Marseille de crise sanitaire et sociale. Car la gestion de ce confinement est autoritaire, répressive et socialement dévastatrice. Cette situation touche bien-sûr particulièrement les personnes les plus précarisées, déjà avant le confinement (exilé.e.s, habitant.e.s des quartiers populaires, personnes enfermées, victimes de violences conjugales ou familiales, etc). Il y a d’abord l’abandon et l’inaction quasiment totales des institutions et des collectivités. Le 115 est encore plus saturé que d’habitude.
Le marché aux puces dans le quartier des Crottes (15ème arrondissement), où plusieurs centaines d’habitant.e.s des quartiers Nord venaient s’approvisionner tous les jours, a dû fermer ses portes jeudi 9 avril sur arrêté préfectoral. Les associations de distributions alimentaires diminuent leur activité ou sont débordées. Le contrôle des sorties exclut celleux qui vivent du travail non déclaré (fait structurel dû à la domination patronale sur les précaires). La mise au chômage partiel pour des personnes à faibles revenus, la quasi impossibilité de travailler en intérim et l’absence de compensation financière représentent un acharnement sur les populations les plus pauvres. Les travailleur.se.s du sexe qu’iels exercent de chez elleux ou dans la rue, se retrouvent encore plus précarisées dans leur activité. Pour celleux qui vivent dehors, dans des logements insalubres ou des lieux d’enfermement, le confinement équivaut à une mise en danger matérielle et psychologique.
Lors de maraudes effectuées par le collectif El Manba, nous avons constaté une carence terrible d’informations pour les communautés migrantes. Les personnes à la rue, vivant dans des conditions d’hygiène déplorables n’ont bien évidemment pas accès à des masques ou à des produits d’hygiène, mais pas même à de simples informations quant à la dangerosité du virus, aux gestes barrières, etc. Sur l’infoline téléphonique du Manba, nous recevons tous les jours des appels de personnes exilées qui ne sont pas au courant de la fermeture de quasiment toutes les institutions liées à la demande d’asile (OFII, PADA, Préfecture…). Les informations sont bien accessibles, mais sur des sites internets et souvent uniquement en français.
Sans surprise, l’abandon social est accompagné par un armada sécuritaire et répressif dirigé vers les mêmes personnes. Il y a deux semaines, une personne sans-papier qui squattait un appartement en centre-ville a été expulsée. La police et l’huissier ont refusé de reconnaître des preuves légales d’habitation, alors que la trêve hivernale a été prolongée de deux mois. Autour du quartier de Maison Blanche, déjà connu pour les violences policières qui s’y produisent quotidiennement, et dans les quartiers Nord plus généralement, les contrôles policiers sont resserrés et répétitifs. Les personnes à la rue se font contrôler plusieurs fois par jour et parfois verbaliser pour absence d’attestation. Pour rappel, ces personnes n’ont pas accès à des imprimantes et n’ont simplement pas d’adresses à inscrire sur leurs attestations. Le nombre de contrôles au faciès des personnes racisées explose, et des exilé.e.s à la rue nous racontent que les contrôles musclés, tabassages, gazages et poursuites en voiture sont plus que jamais quotidiens. Quand les rues sont vidées de témoins potentiels, toute place est laissée à l’impunité policière.
Et quand la répression policière ne s’abat pas sur les personnes les plus opprimées, c’est vers les collectifs militants, autogérant la solidarité, qu’elle se tourne.
Il y a eu les cinq personnes de notre collectif verbalisées ce vendredi, mais le collectif Maison-Blanche, organisant aussi des distributions alimentaires dans leur quartier, a été accusé à tort de ne pas faire respecter les gestes barrières lors de la distribution des repas par la déléguée de la préfecture à l’égalité des chances, Agnès Lonchamp. Et il ne s’agit pas que de Marseille.
A Toulouse, lors d’une distribution du même type au Centre social autogéré de la CREA, la police a contrôlé, cherchant des personnes sous OQTF et a empêché des familles de rentrer chez elles après la distribution. Dans tous ces exemples, on parle bien d’autorités publiques entravant des actions solidaires en soutien à des personnes abandonnées, qui, sans ces solidarités autonomes, n’auraient plus aucun moyen de se nourrir.
Il y a pourtant une belle hypocrisie dans cette répression envers les différents collectifs puisque c’est sur ces mêmes groupes que les institutions s’appuient pour combler leur inaction. Voilà quelques exemples de ce que fait la Mairie de Marseille face à la crise.
Après 13 jours de confinement, le nombre de repas pour les maraudes du Samu Social a été augmenté.
Après 20 jours, la métropole envoie des mails aux collectifs solidaires pour leur demander de « recenser le volume des familles qui sont dans le besoin alimentaire : nombre de foyers, nombre de personnes par foyer » et le « nombre de personnes isolées qui auraient besoin d’être livrées en denrées alimentaires ».
Après 25 jours, la mairie de Marseille se vante d’avoir ouvert deux gymnases pour donner accès à des douches, tout cela en faisant un partenariat public-privé avec une entreprise qui doit gérer l’aspect sanitaire de l’infrastructure. Pas de répression pour les entreprises qui s’enrichissent sur la situation pandémique.
Lors d’une maraude autogérée, un adjoint au maire est venu féliciter les « bénévoles ». Que cela soit clair, nous n’acceptons pas vos félicitations, et nous n’applaudirons pas vos initiatives, c’est trop peu et c’est trop tard.
Nous le répétons, la situation est alarmante. Il faut sortir les familles des quartiers Nord, les exilé.e.s, celleux qui vivent à la rue, et toutes les personnes les plus précaires de cette situation mortifère. Pour elleux, ces méthodes irresponsables de confinement sont tout aussi voire plus dangereuses que le Corona Virus. Les institutions publiques et les collectivités doivent agir dès maintenant. Nous demandons :
– l’arrêt des contrôles et des verbalisations pour les personnes à la rue
– un contrôle du dispositif policier dans les quartiers populaires et la fin immédiate des violences policières
– la fin de l’acharnement et la levée de toutes les amendes sur les collectifs militants qui autogèrent la solidarité
– la mise à l’abri des personnes à la rue par des campagnes de réquisition (inutile de rappeler le nombre de logements vides à Marseille)
– la régularisation de toutes les personnes sans-papiers comme cela a été mis en place au Portugal
– la distribution gratuite, quartier par quartier, de masques, de désinfectants et d’informations sur la prévention
(au lieu de payer des drones et des avions de police)
– un revenu de confinement pour toutes les personnes dans l’incapacité de travailler pendant la crise sanitaire
– l’arrêt immédiat des expulsions et la suspension du paiement des loyers des logements sociaux et des plus précaires, la suspension du paiement de toutes les factures d’énergie